Quelques amis réunis autour d’un café, c’est souvent comme cela qu’un sujet numérique, anodin en apparence, soulève de grandes questions sur les limites voire les abus des plateformes de vidéo à la demande et de streaming comme Netflix, Amazon Prime ou Disney Plus. Je souhaitais partager avec vous quelques-unes de ces réflexions et inviter ceux et celles qui le souhaitent (qu’ils soient des professionnels du cinéma ou non) à continuer cette discussion en me contactant >>

Une licence limitée pour regarder des contenus temporaires

Certaines plateformes comme Amazon Prime proposent, en plus de l’abonnement mensuel, un catalogue de contenus payants VOD (video on demand). Or, le consommateur ignore généralement qu’il ne pourra plus regarder le film qu’il a acheté si celui-ci est retiré du catalogue. Ce n’est donc pas comme acheter un DVD ou télécharger un film sur son disque dur. La licence de visionner est limitée au bon vouloir du vendeur de laisser ou non le film sur sa plateforme. Tout cela est parfaitement annoncé dans les petites clauses mais cela est-il juste pour autant ? et que dire de l’impossibilité de revendre ses collections de contenus achetés (de céder la licence achetée) ? Il y a d’ailleurs une belle affaire en cours concernant un sujet similaire : la revente d’occasion des jeux vidéo sur les plateformes comme Steam (cf. Valve contre UFC-QueChoisir) avec une “revente autorisée” pour le juge en première instance et le contraire en cour d’appel, preuve que ces questions divisent.

Lorsque le contenu évolue au gré des lois et des usages

Saviez-vous qu’un épisode de la série américaine Community avait été purement et simplement supprimé du catalogue de Netflix ? Dans cet épisode, des rôlistes participaient à une partie de Donjons et Dragons et l’un des joueurs arrive costumé et maquillé en elfe noir. Les autres joueurs, dont une femme noire, lui font immédiatement remarquer le mauvais goût de son déguisement (le fait qu’il ait maquillé son visage en noir). Cela n’aura pas suffi et l’épisode sera supprimé pour cause de “black face” politiquement incorrecte. Cela veut dire que le contenu proposé par les plateformes peut être largement censuré (et ici “auto-censuré” sans obligation légale). Cette censure enlève ainsi la possibilité de voir, de critiquer, d’échanger sur la cause et donc de faire avancer la réflexion collective dessus.

Plus grave encore, rien n’empêche les plateformes de remplacer un contenu par sa nouvelle version révisée sans avertir celui qui le visionne, ceci au gré des lois en vigueur ou des usages et coutumes des Etats-Unis. Si demain la loi change, ce sont des pans entiers de culture qui peuvent disparaître. Vous me direz, on peut toujours acheter des DVDs et des Blu-rays mais le fait-on si souvent aujourd’hui ? Qui garantit que la version originelle / historique d’un “Autant emporte le Vent” (retirée de HBO puis remise avec une vidéo d’introduction) est toujours disponible quelque part pour tenter de comprendre une époque révolue ?

Des plateformes puissantes et monolithiques

Les droits de diffusion coûtent cher (19 milliards de dollars pour Netflix prévus en 2022 selon cet article), c’est pourquoi les plateformes créent de plus en plus de contenu elles-mêmes, contenu qu’elles peuvent donc diffuser / réviser / remplacer à l’envi. Ce sont des structures plus puissantes qu’on ne croit à en juger la façon dont Disney Plus a pu négocier avec la France concernant la réforme de la chronologie des médias en menaçant de ne pas diffuser le dernier Marvel “Black Panther : Wakanda forever” dans les salles françaises (article). Un géant audiovisuel américain a ainsi pu imposer un changement législatif dans un pays étranger. 

Et pourquoi s’en priveraient-ils puisqu’ils seront de plus en plus les maîtres du flux direct (streaming) sur Internet, les dépositaires, diffuseurs et producteurs de la majeure partie de la production filmée mondiale ? C’est cet aspect monolithique qui nous interroge fortement.

Un streaming désastreux pour la planète

Début novembre, les opérateurs français ont demandé à Amazon, Google, Netflix et consorts de contribuer au financement de la bande passante qu’ils consomment pour un total de 2 milliards d’euros. En effet, les GAFAM étaient responsables de 56% du trafic web en 2021 (dont 9,39% pour Netflix), ce qui pèse fortement sur les infrastructures liées à la bande passante (le flux internet) que nous consommons tous. En cause les fondations mêmes des plateformes qui diffusent en “streaming” car en regardant notre série préférée, nous mobilisons pendant 40 minutes Internet en continu et avec des qualités vidéo très hautes (1080p minimum, voire 2/4/6/8K). Selon Netflix lui-même, regarder en streaming 1H de vidéo sur sa plateforme consommerait moins de 100g de CO². Cela peut paraître peu mais c’est sans compter le nombre d’heures passées sur les plateformes : plus de 11H par jour en moyenne pour 330 millions d’Américains, ça fait déjà un peu plus ! Pour un débat contradictoire sur le sujet, je vous renvoie vers cet article.

Le simple fait de télécharger un film en 2 minutes sur un disque dur et de le regarder en local serait une économie énorme. Cela aurait aussi l’avantage de conserver une version d’époque sans risque de la voir révisée par la suite. Il est peut-être temps de reconsidérer les avantages du peer-to-peer et du téléchargement direct, de construire cette offre alternative ensemble, ne serait-ce que pour retrouver des films et séries moins connus qui ne sont plus diffusés nulle part, non ? 

Conclusion : un citoyen dépossédé de la culture cinématographique

Nous constatons ainsi une vraie dépossession progressive et quasi-invisible du citoyen par rapport à la culture cinématographique au profit de plateformes pouvant réviser les œuvres à loisir, en limiter ou en supprimer l’accès et dont le mode d’accès (le streaming) est un non-sens écologique, tout cela dans un système où les alternatives (téléchargement, partage de versions stables dans le temps) sont les grandes absentes du débat.

Envie d’échanger sur le sujet ? Envoyez-moi un mot et parlons-en !